J’ai rendu visite comme tous les ans (sauf l’année dernière) à un vigneron ardéchois. Voilà quelques-unes de ses remarques, qui ont un intérêt certain bien au-delà de son domaine particulier, le vin.
Cette petite exploitation vinicole, familiale et bio n’a pas plus de problèmes que d’habitude dans son cœur de métier, la culture de la vigne et la fabrication du vin. Les questions de main d’œuvre (vendanges à la main) et les aléas météorologiques sont habituels mais ne changent pas la donne générale. La production du domaine ne s’écarte pas de ses tendances récentes, en quantité et en qualité.
Ces deux dernières années, la demande de la clientèle s’est modifiée avec la crise Covid ; moins de restauration, plus de cavistes et d’exportations, notamment vers l’Amérique du Nord. En effet, les hausses du dollar et du dollar canadien ont permis de passer plus facilement des hausses de prix à l’exportation. Au total, les ventes du domaine ne baissent pas.
En revanche, mon interlocuteur a souligné 3 problèmes.
- Des hausses de prix de matériaux intermédiaires absolument nécessaires se constatent à deux chiffres sur le carton et les bouteilles de verres. Ces hausses se répètent en 2022 après des hausses déjà fortes en 2021. Dernière justification avec la guerre en Ukraine qui aurait supprimé des capacités de production.
- Sur ces produits intermédiaires, non seulement les prix montent entre deux commandes avec effet rétroactif (« si vous n’acceptez pas la hausse de prix, vous ne serez pas livré ») mais en plus les quantités commandées ne sont pas honorées. Vous commandez 10 palettes de verres et on vous en livre 3. Les contrats ne sont pas respectés entièrement. En conséquence, le domaine commande plus que ses besoins réels, en anticipant que sa livraison effective sera réduite.
- Les commandes à l’exportations ne sont pas expédiées à cause de l’indisponibilité des containers. Malgré des prix multipliés par 3 (!) à cause du Covid, puis de la Chine, il y a toujours de gros blocages qui ralentissent considérablement les flux. D’où plusieurs mois de retard sur les livraisons vers l’Amérique du Nord.
Que peut-on tirer de ces informations brutes ?
Ce témoignage montre que nous sommes maintenant dans la phase d’excès de ce cycle économique, excès sur les hausses de prix, excès de comportement des fournisseurs, excès des clients sur les commandes en quantité exagérée puisque non honorée en totalité.
Des unités de production de biens intermédiaires, dans cet exemple de carton et de bouteilles de verres, vont rouvrir ; elles n’étaient pas rentables auparavant car obsolètes ou trop petites mais avec de telles hausses de prix, elles vont le redevenir. Il faut garder en tête que ces biens intermédiaires sont lourds et de prix unitaires peu élevés ; en principe, ce sont surtout des marchés régionaux. Bien sûr, l’ajustement de l’offre prend du temps, mais on est déjà dans la deuxième année de forte hausse des prix intermédiaires. Du côté de la demande, dès que l’offre se redressera, les commandes non essentielles disparaitront puisque les livraisons redeviendront conformes aux attentes.
Ces mécanismes cycliques sont bien connus : l’ajustement offre et demande s’effectue, il prend du temps, à un moment où les banques centrales ont commencé par lever le pied de l’accélérateur puis appuient maintenant sur le frein. Espérons qu’elles appuieront doucement, juste ce qu’il faut pour obtenir ce fameux « solf landing », atterrissage en douceur avec une inflation contenue. Dans un tel scénario optimiste, les marchés equity ont un potentiel significatif pour rebondir face au mur d’inquiétude que j’ai décris dans mon article précédent.
Conclusion opérationnelle.
Je conseille de déguster -avec modération bien sûr- le chardonnay du domaine Arsac à Saint Jean le Centenier, Ardèche, bouteille bio à moins de 10€. Je suis moins à l’aise pour écrire sur le vin que sur les économies ou les marchés financiers. Sachez juste que j’ai pris beaucoup de plaisir avec ce blanc suave et onctueux.