Trois semaines après mon premier papier « comment va-t-on sortir de l’inversion de la courbe des taux américaine », je présente une actualisation nécessaire après le témoignage de J. Powell devant le congrès le 7 mars ; la courbe des taux américaine est davantage inversée maintenant, les probabilités de récession à 12 mois sont plus élevées. Je réponds à quelques questions qui m’ont été adressées : pourquoi les marchés actions n’ont-ils pas autant réagi que les obligations ? Pourquoi les taux réels restent ils négatifs ? et la courbe des taux en Europe ?
Mise à jour du scénario
Nb : pour ceux qui ne connaissent pas le modèle, il faut lire le premier papier publié sur Broviews.fr le 17 février
Au moment où j’écris, la Fed de NY n’a pas encore actualisé son modèle. Mais il ne fait aucun doute selon moi que, comme l’inversion de la courbe (qui dure depuis mi-septembre 2022, sur le calcul de 3mois versus 10 ans) s’est beaucoup amplifiée ces dernières semaines, la probabilité de récession dans les 12 prochains mois a augmenté (depuis le 8 février, date de la mise à jour de la Fed de NY). Les données économiques publiées depuis quelques semaines aux Etats Unis ont été plus fortes que prévues. J. Powell a reconnu lors de son témoignage bi annuel au Congrès que le resserrement de politique monétaire en cours n’est pas terminé, loin de là, et qu’il pourrait même accélérer de nouveau durant les prochaines réunions de la Fed en revenant à des hausses de 50bp. Dans le même temps, les taux longs ont moins monté. Aussi, l’inversion de la courbe a dépassé les 100bp ce jour, ce qu’elle n’avait pas fait depuis 1981 (mais avec des taux à deux chiffres à l’époque !).
Surveillons les données économiques importantes des prochains jours, les prix à la consommation et le rapport sur l’emploi pour février, publiés vendredi 10 mars. Les marchés y seront très réactifs.
Rappelons que la seule façon dans l’histoire américaine de sortir d’une inversion de courbe des taux est un desserrement brutal de politique monétaire durant la récession ; les taux courts baissent alors plus rapidement que les taux longs. Il n’y a pas eu d’autres possibilités, et ce cycle ne devrait pas être différent des autres passés. Aujourd’hui, la Fed continue à resserrer pour casser l’inflation, ce qu’elle n’arrivera pas à faire sans que le chômage ne monte significativement, c’est-à-dire sans que l’on ne constate une récession. Cette récession ne se produirait que dans un an compte tenu des délais entre décision de politique monétaire et impact sur l’économie réelle.
Pourquoi la bourse américaine n’a -elle pas davantage réagi à cette détérioration des taux ?
C’est une question très difficile : nous sommes nombreux à connaitre ce phénomène d’inversion de courbe comme anticipateur de la récession. Donc, pourquoi les actions ont-elles moins réagi que les obligations ?
Deux éléments d’explications : d’une part, certains parlent encore de soft landing, d’atterrissage en douceur de l’économie américaine et pensent que l’inflation pourrait se calmer sans récession. Les marchés obligataires n’y croient pas, mais les actions donnent une probabilité non négligeable à ce schéma. Certains stratégistes parlent même de « no landing », pas de ralentissement, niant la notion même de cycle économique. Autant on peut trouver quelques atterrissages en douceur dans l’histoire, autant il faut se méfier quand on commence à nier la notion de cycle économique.
D’autre part, la question de l’anticipation des marchés par rapport à l’économie réelle est posée : certains disent que la baisse des marchés actions en 2020 de plus de 20% est l’anticipation de la récession prévue par la courbe des taux. Je suis sceptique car on parle là d’une anticipation d’anticipation !
Je l’ai souvent dit : quand les marchés obligataires et les marchés actions anticipent des choses différentes, durant ma carrière sur les marchés, j’ai toujours vu les marchés obligataires avoir raison. L’exubérance irrationnelle, pour paraphraser les auteurs célèbres de cette expression (Alan Grenspan et Robert Shiller), est majoritairement chez les « equity boys », moins chez les obligataires…
Pourquoi les taux réels restent ils négatifs ?
Y compris sur la partie courte de la courbe, les taux d’intérêt sont inférieurs à l’inflation constatée. Les taux réels sont négatifs. Cela va bientôt changer avec les hausses de taux Fed à un moment où l’inflation a commencé à baisser grâce à la baisse des prix de l’énergie et de l’alimentaire.
NB : le consommateur ne ressent pas encore la baisse des prix des commodités alimentaires à cause des décalages entre prix de marché et prix à la consommation.
Sur la partie longue de la courbe, la seule explication que je trouve est que les marchés anticipent que l’inflation va baisser à terme, et que les taux réels sur l’ensemble de la durée de vie des obligations longues seront positifs. C’est une explication faible, j’en conviens. D’autant que les banques centrales, qui ont été déterminantes durant la crise Covid pour faire baisse les taux longs, ne sont plus acheteuses aujourd’hui. Il aurait été logique de voir les taux remonter davantage compte tenu du choc inflationniste que nous vivons. Mais ce fut déjà un choc violent l’année dernière.
Et la courbe des taux européenne ?
Les taux courts de la zone euro sont décidés par la BCE, et l’on constate peu d’écart (« spreads » est l’expression consacrée) entre les taux courts des différents pays. En revanche, sur les taux longs, ces écarts existent, fonction du risque perçu par les marchés pour investir dans tel pays de la zone euro plutôt que dans tel autre. Ces spreads de taux n’ont pas beaucoup bougé ces derniers trimestres, tous les taux longs de la zone euro ont « grosso modo » monté de la même manière.
La courbe des taux est légèrement inversée en Allemagne, quasi plate en France et pentue en Italie. En résumé, je crois que la courbe des taux européens ne donne aucun signal. La BCE est une banque centrale jeune par rapport à la Fed, et l’on ne dispose pas d’un historique sur plusieurs cycles économiques.
Le 7mars 2023, en % | Taux 3mois | Taux 2 ans | Taux 10 ans |
Allemagne | 2.88 | 3.31 | 2.66 |
France | 2.75 | 3.35 | 3.15 |
Italie | 2.76 | 3.85 | 4.65 |
Source : Investing.com
Mais dans l’histoire économique depuis le 20eme siècle, l’économie américaine influence l’économie mondiale et l’Europe a de fortes probabilités de suivre les Etats Unis dans la récession. Le signal américain est très fort.
Conclusions opérationnelles
Je ne peux que répéter mon message de davantage de prudence sur les actifs risqués compte tenu du risque de récession de l’économie américaine. J’ai relevé le niveau de liquidités dans ma gestion personnelle. Et je suis défensif dans mes choix d’actions/ de secteurs.