Pour qu’une inflation durable se mette en place, il faut une bonne dose de hausses des prix des matières premières comme souvent après les guerres, puis une inflation par les couts qui se répercute si la demande reste forte. Ajouter des ruptures de chaines d’approvisionnement et surtout des hausses de salaires. Le tout doit mariner dans des politiques monétaires laxistes. Enfin, des changements structurels sur la mondialisation et la digitalisation amplifient l’ensemble. Bref, on risque bien aujourd’hui une hausse durable du niveau général des prix.
Avec des conséquences importantes sur les taux longs et donc le cout de la dette des états. A moins que les banques centrales ne donnent un grand coup de frein…
Pour commencer, une bonne dose de hausse des prix des matières premières
En 2021, les prix ont fortement monté presque partout dans le monde sous l’impact de la reprise exceptionnelle de l’économie mondiale après la fermeture globale liée au Covid 19. Ce rebond des prix a été analysé tout d’abord comme un rattrapage, puis comme un phénomène transitoire lié à des accidents (hausse des prix du pétrole, de certaines autres matières agricoles, des semi-conducteurs…). Mais en début 2022, le transitoire devient plus long. La Fed a changé de diagnostic, elle ne parle plus de hausse transitoire des prix. Va-t-on vers une nouvelle phase ? Devrait on oublier la hausse de certains prix pour une courte période et parler maintenant d’une hausse plus longue du niveau général des prix ?
Historiquement, les périodes d’inflation longue se produisent lorsque plusieurs éléments se conjuguent, les différents ingrédients de notre recette. Certains éléments se mettent en place aujourd’hui.
. Après la pandémie Covid 19, et amplifié par la guerre en Ukraine, on constate bien une hausse de certains prix : hydrocarbures, céréales, certains métaux, semi-conducteurs…C’est un phénomène assez habituel lorsque offre et demande sont perturbées de manière significative par un phénomène exogène
. Dans le cycle économique actuel, la reprise de la demande dans les économies matures est spécifique : la consommation de services est perturbée et ralentie par les suites du Covid19 (tourisme, voyage, services aux personnes) au profit de la consommation de biens. Cette hausse de la demande de biens se conjugue à certains « bouchons » dans les chaines d’approvisionnement. L’anecdote du blocage du canal de Suez en mars 2021 est significative d’une extrême sensibilité au sujet. On ne cesse d’en parler par exemples pour les semi-conducteurs ou pour les pièces de remplacement dans de nombreux secteurs, automobile ou bâtiment. Les queues d’attentes dans les ports sont un autre exemple que la situation Covid 19 en Chine relance en cette fin du mois de mars 2022.
Puis, ajouter des hausses de couts répercutées dans les prix
On commence à constater une inflation par les couts : voir les indices de prix à la production qui augmentent à deux chiffres en ce moment. Donc, tous les agents économiques cherchent à répercuter dans leurs prix de vente la hausse de leurs couts. Et le consommateur n’a pas le choix, il accepte ces hausses de prix qui viennent souvent avec des délais de livraison importants.
Enfin viennent les hausses de salaires
Autre ingrédient capital, les salaires. En France, avec les élections présidentielles, nous constatons une polarisation sur le pouvoir d’achat et la question des salaires. Il est facile pour les candidats de promettre une hausse des salaires. Au-delà de cette question politicienne française, on constate bien dans plusieurs économies matures les difficultés d’embauche dans plusieurs secteurs tendus et donc des hausses substantielles de salaires. Les salaires légaux minimum sont relevés dans certains cas. Question centrale pour l’avenir ; va-t-on vers une spirale salaire/prix/ salaire ? Dans les économies matures, les salaires sont une part importante des couts. Si les salaires montent, les entreprises répercuteront cette hausse des couts dans leurs prix. Et les salariés demanderont de nouveau des hausses de salaires… Une remarque tout de même : dans les années 60 et 70 durant lesquelles on a constaté une indexation des salaires et des prix, les syndicats étaient beaucoup plus forts qu’aujourd’hui, et les opinions publiques étaient favorables à cette indexation.
Remarquons dans ce contexte la création de deux syndicats chez Starbucks et chez Amazon, deux entreprises récentes et iconiques sans syndicats jusqu’à maintenant. Il se passe bien quelque chose !
Mondialisation et digitalisation changent
Deux phénomènes structurels ont expliqué une part de la longue période de faible hausse des prix que nous avions connue ces dernières décennies. La mondialisation et la digitalisation ont poussé les prix vers le bas. On pourrait bien constater l’inverse à l’avenir : la mondialisation se retourne pour des questions d’indépendance, de maitrise des chaines de production. Cette volonté nouvelle des gouvernements et des entreprises ne porte pas sur tout, mais elle risque de se traduire par des couts supplémentaires à l’avenir. La mondialisation pourrait se renverser, ou au minimum changer de forme ; son impact sur les prix de même.
La digitalisation s’est traduite par une plus grande transparence des prix dans de nombreux segments. La concurrence a davantage joué. C’est un fait établi, les habitudes de consommation sont changées. Ce qui est récent est la taille des entreprises du digital, et l’oligopole qui s’est formé avec un forte domination mondiale américaine (ou chinoise pour l’Asie). Les oligopoles ne font pas baisser les prix. Historiquement au contraire, une fois la position dominante acquise, les entreprises ont plutôt tendance à augmenter leurs prix. A suivre donc, car face à cet oligopole, les régulateurs sont vigilants surtout en Europe et en Chine.
Dernier ingrédient, les politiques monétaires laxistes.
Ne jugeons pas les politiques monétaires de lutte contre la déflation mises en place au Japon et dans la zone euro depuis plus de 10 ans. Constatons simplement que, avec la crise sanitaire, toutes les banques centrales ont adopté des politiques monétaires ultra-expansionnistes couplant taux réels négatifs (avec des taux officiels négatifs en zone euro), de fortes hausses des masses monétaires et des achats massifs d’obligations d’état sur les marchés. Plus important encore, elles ont tardé à resserrer malgré le fort rebond d’inflation.
Quelques banques centrales ont commencé à resserrer, doucement ; Fed et banque d’Angleterre ont monté leurs taux officiels de 25bp. Mais les taux réels restent très négatifs et les achats d’obligations se poursuivent, sans parler de commencer à réduire la taille des bilans des banques centrales.
Le dilemme des banques centrales est bien difficile : soit elles resserrent fortement pour casser les anticipations d’inflation, quitte à provoquer une récession. Soit, elles continuent à resserrer doucement avec peu d’impact sur l’inflation et la croissance, risquant donc la stagflation… La Fed communique depuis début avril sur un durcissement plus rapide de sa politique monétaire.
Le risque est donc bien que le niveau général des prix continue d’augmenter encore pendant plusieurs mois/trimestres, avant que les banques centrales n’aient convaincu les marchés de leur volonté de casser l’inflation. Selon moi, les hausses de taux obligataires ne sont pas terminées. Le trimestre qui se termine est le pire que les marchés obligataires dans leur ensemble aient connu, il est vrai que ce trimestre commence au pic des marchés obligataires (au point bas des taux longs). L’indice obligataire « Bloomberg Global-Aggregate Total Return Index Value Unhedged» est en baisse de 7.66% sur un an. Le placement obligataire n’est pas si sûr que cela. De nombreux investisseurs prudents vont être surpris lorsqu’ils vont recevoir leurs relevés trimestriels.
Conclusions opérationnelles
Rester prudent sur les marchés obligataires, la hausse des taux n’est pas terminée
Les hausses des taux immobiliers commencent, ce qui n’est pas une bonne nouvelle pour l’immobilier en général, pour le résidentiel en particulier.
Dans une période d’inflation, les actifs réels qui génèrent des revenus flexibles (qui augmentent en parallèle avec les prix) s’en sortent mieux en termes réels : je pense en particulier à l’immobilier qui pourra grâce à cette flexibilité sur les loyers compenser en partie la hausse des taux, et aux dividendes élevés. (Autres actifs réels ; forets, terres agricoles, vignes). Attention aux niveaux de valorisation : les prix de tous les actifs sont chers.
Sur les bourses, il est très consensuel de privilégier les entreprises qui ont du « pricing power », qui peuvent répercuter les hausses de couts dans leur prix. C’est-à-dire, privilégier les marques, la qualité.