Une petite minorité d’Investisseurs Institutionnels (II) français agissent déjà, soit via la finance solidaire, soit via l’investissement à impact social ; ce sont les II amicaux avec la finance à impact avec lesquels j’ai réalisé en 2023-bénévolement- pour l’association FAIR une douzaine d’entretiens ; je remercie chaleureusement les personnes qui m’ont accordé ces entretiens. L’ambition était de produire des monographies sur ces 5 institutionnels (Banque des Territoires, MAIF, BNP Paribas, Macif/OFI, et Generali France). L’objectif central est de comprendre ce que chacun fait en termes d’Investissements à Impact ; comment, avec quels véhicules, selon quelle stratégie d’investissement, quels freins/contraintes rencontrés ?
Les institutionnels ne sont plus une priorité pour l’association FAIR. Face à des moyens limités et en gérant ses priorités (le paragraphe sur les II n’est qu’en page 16 du Plan Stratégique de FAIR pour 2024-26), FAIR a décidé de retarder/annuler la publication de ces monographies. Le terme « Investisseur Institutionnel » n’a pas été prononcé pendant l’Assemblée Générale de FAIR du 16 mai. Je tiens néanmoins à mettre en avant quelques éléments de réflexions venant de ces entretiens, et publier ce qui aurait pu être un résumé des conclusions de ce travail. Je précise explicitement que bien sûr, ce papier n’engage que moi-même, pas FAIR.
Même pour les institutionnels qui font de l’investissement à impact et qui se développent sur ce segment- ceux de notre échantillon- la pièce a deux côtés : d’une part, des éléments positifs indéniables fondent ce développement. Mais d’autre part, des freins existent, que soulignent aussi nos 5 institutions. Mais, nombre d’investisseurs institutionnels -qui le plus souvent refusent de considérer l’impact- les utilisent pour justifier leur inaction.
Quel est le problème ? L’investissement à impact est défini comme un investissement réalisé avec l’intention de générer un retour positif, ayant un impact social et/ou environnemental mesurable, tout en assurant un rendement financier. Trois critères : a) L’intentionnalité : la recherche explicite d’un impact social ou environnemental positif b) L’additionnalité : l’engagement et la contribution (financière ou extra-financière) de l’investisseur permettant à l’entreprise bénéficiaire des fonds de maximiser son impact social ou environnemental et c) La mesurabilité : la mesure de l’impact reposant sur la mise en place d’objectifs sociaux ou environnementaux, un suivi des résultats et un processus continu d’évaluation.
Généralement, l’investissement à impact se traduit par des investissements à moyen ou long terme. Le problème est que la plupart des Investisseurs Institutionnels (II) considèrent que ces critères sont trop rigoureux et vont bien au-delà de l’investissement socialement responsable (ISR), ISR qu’ils intègrent déjà à des degrés divers dans leur process de décision. Les II dans leur majorité estiment que les critères non financiers ne doivent pas prendre le dessus sur les critères financiers, la rentabilité attendue et le risque d’un investissement. Cela va selon eux au-delà de leurs responsabilités fiduciaires. Les II amicaux avec l’investissement à impact, ceux que nous interrogeons, sont donc une minorité.
Deux groupes d’investisseurs institutionnels amicaux avec la finance à impact
Deux groupes assez distincts d’investisseurs institutionnels émergent à partir de l’échantillon restreint. D’une part, ceux qui font de l’investissement à impact sur leurs fonds propres depuis longtemps, pour des montants importants, car c’est inscrit dans leur mission. Banque des Territoires à cause des missions d’intérêt général de la Caisse des Dépôts, et MAIF, entreprise mutualiste à mission, sont dans ce groupe.
D’autre part, des groupes financiers plus classiques qui se transforment vers l’impact : ils fournissent des efforts significatifs transversaux qui ont commencé via la mise en place de politiques RSE/ISR. Il s’agit dans nos exemples de BNP Paribas et de Generali France.
Macif/OFI Invest est dans une situation intermédiaire, Macif plutôt dans le premier groupe mais OFI dans le deuxième.
Quelques éléments transversaux positifs émergent dans tous nos exemples
- La volonté politique du top management de chaque institution est essentielle pour impulser une démarche menant au développement de l’investissement à impact ou plus généralement d’une prise en compte de critères non financiers. C’est essentiel pour que cette démarche se diffuse dans l’entreprise, dès les premières étapes ESG ou ISR avant de mener à l’investissement à impact.
- Il est possible de faire de l’investissement à Impact social pour taille importante grâce à une diversification des véhicules, en couplant finance solidaire classique, investissement dans des institutions de micro-crédits/micro finance, obligations sociales et fonds (de Private Equity) à impact. Cette question de la taille se pose moins pour l’impact environnemental. Néanmoins, comme nous le verrons plus loin, la question de la liquidité et de la profondeur du marché se pose.
- Nos exemples montrent que ces Institutionnels acceptent une rentabilité plus faible pour leurs investissements sous deux conditions : si le risque de ces investissements est jugé acceptable ou faible (c’est-à-dire avec une focalisation sur des entreprises pérennes, question sur laquelle nous reviendrons) et si la mesure de l’impact social est fiable et explicite. Ces indicateurs de performance non financière sont très répandus et utilisent souvent les Objectifs de Développement Durable (ODD) de l’ONU.
- L’impact climatique/environnemental cannibalise l’impact social. La part du climat dans les investissements à impact est prédominante car la croissance y a été rapide ces dernières années. Le sujet du climat est plus présent dans l’actualité, et parait plus facile à mesurer (même si ce point ne fait pas l’unanimité). C’est un segment plus mature que le social. Certains investissements/ projets sont à cheval entre impact environnemental/climatique et le social, notamment en ce qui concerne les territoires ou l’investissement local.
- La part des fonds spécialisés à impact (on parle bien de Private Equity) tend à augmenter chez la plupart des institutionnels rencontrés. Les fonds à impact permettent d’investir des montants plus importants, de déployer le capital plus rapidement, de manière plus standardisée et de diversifier les portefeuilles. Ces fonds qui disposent d’équipes spécialisées plus étoffées que chez les II, ont un spectre d’investissement plus large que les institutionnels, notamment sur les petites entreprises et l’amorçage
Les difficultés rencontrées
- Il existe peu d’entreprises sociales/solidaires de taille significative avec des modèles économiques établis. Les institutionnels investissent tous dans les mêmes groupes qui sont donc présents dans de nombreux portefeuilles : France Active (ou France Active Investissement), Habitat & Humanisme, et sa filiale santé /handicap EHD, l’ADIE, Terres de liens, plus quelques autres entreprises plus petites telles Villages Vivants ou Solifap par exemple. Ce petit nombre d’entreprises matures captent une part importante des financements. D’où la nécessité pour les II amicaux de se diversifier avec des Fonds d’Impact, qui iront aussi vers ce petit nombre d’entreprises, en élargissant leurs investissements vers d’autres plus petites et en amorçage. La taille des tickets réalisés par les institutionnels est donc petite, ce qui coute en termes de frais de structure. Le capital est lent à se déployer. La profondeur du marché n’est pas suffisante. Ce marché de l’impact social demeure une niche étroite.
- La mesure de l’impact n’est pas assez consensuelle et à ce jour, pas assez crédible pour compenser la diminution acceptée de la rentabilité. Les critères non financiers sont devenus incontournables pour les institutionnels ; mais dans l’impact social, la mesure n’est pas encore jugée satisfaisante à ce jour. Ce point est particulièrement problématique sur l’investissement coté. En comparaison de l’impact environnemental, les institutionnels estiment que le social a encore du chemin à faire, comme l’environnemental en son temps. Le régulateur a un rôle important à jouer à cet égard, comme il l’a fait sur l’environnemental ; la taxonomie européenne -notamment avec la directive CSRD applicable depuis le 1er janvier 2024- est en train de prendre le relai des ODD, au moins sur la partie environnementale à court terme. Pour la taxonomie européenne sociale, les discussions sont en cours.
Notons qu’aux Etats Unis, le débat est beaucoup plus radical qu’en Europe : certains militent pour exclure totalement les critères non financiers pour toute la gestion financière, que cela concerne les institutionnels ou pas, pour toutes les formes d’épargne. La question donc de savoir si des II doivent faire de l’investissement à impact, ou non, est très loin de ces préoccupations. L’Europe est en avance sur ces sujets.
- Le cout du capital investi en impact est très élevé, surtout dans le non coté ; les fonds propres requis par les régulateurs en face de ces investissements sont importants. Les risques sont jugés élevés, comme dans le Private Equity classique, mais la rentabilité y est beaucoup plus faible.
- L’environnement macro-économique s’est transformé avec la hausse des taux d’intérêt et de l’inflation depuis deux ans. Lorsque les taux étaient proches de 0, un investissement peu rentable dans le social/solidaire se comparait bien aux investissements sans risque. Ce n’est plus le cas aujourd’hui ! Les investisseurs institutionnels doivent tenir compte de l’inflation, ils raisonnent en rentabilité réelle, après inflation. Or, ce changement macroéconomique détériore les conditions de rentabilité dans l’investissement à impact, il fragilise souvent les entreprises sociales.
- Gérer le changement à l’intérieur des institutions financières est compliqué. Tout le monde n’est pas au fait des critères non financiers, et de la problématique de l’investissement à impact. Les institutions doivent se transformer, ce qui est un long processus souvent impulsé par le top management et quelques individus particulièrement motivés.