Crise bancaire 2023 : quelques faillites spécifiques ou un problème systémique global ?

27 mars 2023

Résumé : depuis quelques semaines, plusieurs banques américaines de taille moyenne et une banque systémique, Crédit Suisse, banque systémique ( =banque dont la faillite aurait des répercussions globales graves à cause de sa taille et de son intégration dans le système financier international) ont connu de graves difficultés. Pour se rassurer, on met en avant le fait que les problèmes seraient spécifiques à quelques banques particulières. Afin d’éviter l’emballement, les autorités américaine, suisse et européenne ont réagi en un quelques jours. Les détails techniques de ces interventions sont importants et montrent l’inquiétude des banques centrales face au risque systémique. La confiance s’évapore facilement.

On ne saura que dans quelques mois si l’on est face à des problèmes particuliers ou face à une crise systémique. Chacun peut avoir sa conviction, mais personne ne peut être sûr ! Je crains que même les régulateurs n’aient pas la réponse. Ceux-ci ont réagi vite, fort et bien et j’ai la conviction qu’ils feront davantage si nécessaire.

Les taux d’intérêt bougent beaucoup d’un jour à l’autre, en fonction de la perception du risque bancaire, et selon les données économiques. Globalement, les taux ont baissé mais la courbe des taux américaine reste inversée. Le message du marché obligataire est toujours clair (voir les 2 papiers précédents de Broviews); la probabilité d’une récession américaine qui commencerait dans les prochains mois est élevée. Le resserrement de politique monétaire se transmet à l’économie avec décalage (12 à 18 mois) via le ralentissement de l’immobilier, surtout résidentiel, le resserrement des conditions de crédit (crise bancaire) et la baisse des investissements (à venir).

En conclusion, PRUDENCE et patience sur les bourses, tant que la courbe des taux américaine est inversée. La Fed pourrait changer de politique rapidement. Mais les marchés pourraient bien « forcer » ce changement, et donc être agités pendant quelques semaines encore. Les indicateurs de sentiment et la volatilité ne sont pas (encore ?) sur des niveaux extrêmes.

De quoi parle-t-on ?

Depuis quelques semaines, plusieurs banques américaines de taille moyenne et une banque systémique, Crédit Suisse, ont connu de graves difficultés amenant soit des faillites/mises sous tutelles, soit une fusion. Tout le secteur bancaire souffre en bourse : forte baisse depuis quelques jours après une nette surperformance depuis le point bas des marchés actions en octobre 2022. Comme souvent, deux écoles s’affrontent : d’une part celle qui cherche à rassurer, d’autre part celle qui craint un problème systémique grave.

Pour se rassurer, on met en avant le fait que les problèmes seraient spécifiques à quelques banques particulières : Silicon Valley Bank (SVB) est très implantée dans le secteur de la technologie et du venture capital californien ; cet établissement a pris de gros risques en investissant ses dépôts sur des produits obligataires longs sans couverture du risque de duration. Face à des retraits de dépôts plus importants que prévu par ses clients à cause du ralentissement dans le secteur de la techno, la banque a dû faire des liquidités en vendant -à perte- des obligations américaines. D’où une crise de confiance. Pour Signature Bank, la spécificité est l’implantation à New York et le retournement du marché immobilier couplé à une exposition significative aux crypto monnaies. Pour Silvergate Bank, troisième cas, il s’agit encore des crypto monnaies et du lien à SVB. Bref, à chaque fois, une crise de liquidité dû à un point particulier, précis, qui entraine une perte et donc un problème de solvabilité : les deux conduisent à une fuite des dépôts (Bank run) invisible, puisque de nos jours grâce au digital, on ne fait plus la queue devant les établissements bancaires.

Pour Crédit Suisse (CS), on serait aussi sur un cas spécifique : cette banque systémique n’a cessé depuis plusieurs années de commettre des erreurs et d’affronter plusieurs scandales importants, avec un contrôle des risques très insuffisant. D’où une perte de 7.3Mrds de FS déclarée pour 2022, perte qui annule tous les profits des 10 dernières années. Les comptes 2022 n’ont pas pu être publiés tant les auditeurs (et le régulateur américain) doutaient de la validité des valorisations sur des positions « exotiques » importantes. Lorsque cette dernière nouvelle a été connue, les clients ont amplifié les sorties ; jusqu’à $10 Mrds par jours ! La position de la banque est devenue intenable, à la fois une crise de liquidité et de solvabilité. Pourtant, CS fait partie des banques les plus surveillées au monde à cause de sa taille ; elle avait des ratios prudentiels impeccables (suffisamment de capital, suffisamment de liquidités, niveau de levier conforme).

Pour l’école rassurante, on serait donc confronté à quelques cas idiosyncratiques ; si tel est le cas, l’industrie bancaire reste solide car elle est fortement régulée (Bale 3) : ses ratios prudentiels sont élevés, elle dispose de beaucoup plus de capital qu’avant la crise de 2008, ses liquidités sont abondantes, le levier utilisé est mieux contrôlé.

Les autorités ont réagi fortement et promptement.

Afin d’éviter l’emballement, les autorités américaine, suisse et européenne ont réagi en un quelques jours. Avec une injection massive de liquidités, le bilan de la Fed a augmenté de $300 Mrds avec des liquidités de court terme offertes aux banques, annulant en quelques jours la moitié du « quantitative tightening » fait ces derniers mois avec le resserrement de politique monétaire. Les sauvetages des banques en question, et la garantie donnée aux dépôts des clients, ont été décidés très rapidement, y compris pour le CS, dossier complexe s’il en est.

Ces interventions rapides et déterminantes à court terme visent à éviter que la confiance des investisseurs et des épargnants ne s’évapore. La crise de confiance peut en effet revenir très facilement.

Les détails techniques de ces interventions des autorités sont importants et montrent l’inquiétude des banques centrales face au risque systémique.

Deux exemples : d’une part, la Fed a injecté des liquidités en demandant du collatéral sous forme de papier d’état américain valorisé au pair. Ce détail est crucial car il est lié à l’origine du problème de solvabilité dans les 3 cas américains de faillite bancaire : la hausse des taux depuis un an se traduit par des pertes avec les prix de marchés (on parle de « mark to market » en ce cas). Si l’on peut garder le papier jusqu’à la maturité, ce qui est le cas de la Fed, la valorisation au pair (valeur au moment de l’émission) est justifiée et évite les pertes dues à la hausse des taux.

Deuxième exemple, la question des AT1 de CS. Dans la fusion organisée avec UBS, les CHF17 Mrds de AT1 (ce sont des obligations risquées créées après la crise de 2008 afin que les banques renforcent leurs fonds propres) ont été valorisés à 0. 100% de perte pour ces obligations particulières, performance pire que celle des actions (qui n’ont baissé « que » de 95% depuis leur point haut). Sans entrer trop dans le détail, les autorités de régulation suisses avancent une clause particulière que les investisseurs ont sous-estimée au moment de la création de ces obligations. La BCE a immédiatement communiqué que le cas suisse ne se reproduira pas avec les autres AT1 en zone euro. Le mal a été en partie fait, les prix de ces obligations ont toutes perdu quelques % et les banques auront probablement du mal à en émettre de nouvelle à l’avenir.

Si les banques centrales ont réagi aussi vite et fort, c’est parce qu’elles sont inquiètes : l’inflation reste un problème, elles doivent continuer de resserrer leur politique monétaire, et risquent donc de faire perdurer le problème des banques confrontées à des pertes avec la valorisation « mark-to market » des obligations dans leurs bilans. Adapter les bilans bancaires prend du temps, les montants en cause sont énormes.

La crise bancaire pourrait donc bien être systémique si d’autres établissements ont les mêmes problèmes. Depuis quelques jours, on parle de First Republican Bank et d’autres banques régionales américaines. En Europe, c’est la Deutsche Bank qui revient sur le devant de la scène.  Au moment de l’écriture de ce papier, le 24 mars, les banques baissent beaucoup en bourse, l’inquiétude est de retour, le risque de crise systémique est présent.

 On ne saura que dans quelques mois si l’on est face à des problèmes particuliers ou face à une crise systémique. Chacun peut avoir sa conviction, mais personne ne peut être sûr ! Je crains que même les régulateurs n’aient pas la réponse. Ceux-ci ont réagi vite, fort et bien et j’ai la conviction qu’ils feront davantage si nécessaire.

Forte volatilité sur les marchés obligataires et courbe américaine toujours inversée

Depuis que la crise bancaire est présente, les marchés obligataires sont devenus encore plus volatiles. Les banques centrales sont confrontées à plusieurs problèmes : d’une part leur mandat contre l’inflation implique une poursuite de la hausse des taux courts car les chiffres d’inflation ne s’améliorent plus et la conjoncture économique demeure forte, génératrice de future hausse des prix. Le travail n’est pas fini, comme le dit J. Powell. Les banques centrales ont continué de monter leur taux ces derniers jours.

D’autre part, en face de la stabilité des prix se pose la question de la stabilité financière. Si l’on est confronté à quelques cas idiosyncratiques, les banques centrales ont probablement déjà fait ce qu’il faut : injections de liquidités, sauvetage au cas par cas, fusion organisée. En revanche, si la crise devient systémique, la stabilité financière s’oppose frontalement à la stabilité des prix.

Dès lors, les taux bougent beaucoup, en fonction de la perception du risque bancaire, et selon les données économiques. Globalement, les taux ont baissé mais la courbe des taux américaine reste inversée. Elle est même davantage inversée qu’il y a quelques jours si l’on regarde les taux à 3mois comparés (4.65% au moment de l’écriture 24 mars) au taux à 10 ans (3.36%). Taux à 10 ans et taux à 2 ans (3.76%) ont beaucoup baissé ces dernières semaines, mais pas les taux très courts. Le message du marché obligataire est toujours clair ; la probabilité d’une récession américaine qui commencerait dans les prochains mois est élevée.

Le resserrement de politique monétaire se transmet à l’économie avec décalage ( 12 à 18 mois) via quelques canaux bien connus :

  1. L’immobilier, surtout résidentiel, ralentit en volume, accompagné par une baisse des prix de vente. C’est le cas en Europe et aux Etats Unis. L’ajustement est d’autant plus fort si les taux d’emprunt sont variables. La France est plutôt protégée puisque quasiment tous les prêts sont à taux fixes. Ce n’est pas le cas aux US, au R.U ou en Europe du Nord.
  2. Le deuxième canal de transmission apparait maintenant via les banques.  Que la crise soit idiosyncratique ou systémique, peu importe, les conditions de crédit vont se resserrer, c’est une certitude. L’impact sera un ralentissement surtout pour les PME qui dépendent des financements bancaires, plus chers et plus difficiles à obtenir à l’avenir.
  3. L’investissement au total va souffrir. Le coût du capital est plus élevé, les entreprises vont devoir s’adapter au « credit crunch ».

Bref, la récession arrive, sa probabilité a encore augmenté avec les problèmes bancaires. L’Europe ne sera pas immunisée, même si la courbe des taux y est seulement plate. Dans tous les cycles depuis la seconde guerre mondiale, l’Europe a subi une contagion quand la récession commençait aux Etats Unis. Elle ne devrait pas y échapper dans ce cycle non plus.

Conclusions opérationnelles

PRUDENCE et patience sur les marchés actions, tant que la courbe des taux américaine est inversée. La Fed pourrait changer de politique rapidement. Mais les marchés pourraient bien « forcer » ce changement, et donc être agités pendant quelques semaines encore. Les indicateurs de sentiment et la volatilité ne sont pas (encore ?) sur des niveaux extrêmes.

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