Les 4 voies de la gestion des déficits/dette publics français

21 mars 2024

Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des finances, a annoncé un programme d’économies sur les dépenses publiques de 10 Mrds en 2024, 20 Mrds en 2025. Il a relancé un débat sur la gestion des déficits et de la dette publics français. Bien que capital à mon avis, ce débat ne passionne personne, il ennuie les Français.

J’ai trouvé l’interview de Alain Minc et Jacques Attali sur France inter lundi dernier 11 mars particulièrement intéressante, je vous invite à écouter ces 11 minutes de discussion ( https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10/le-debat-du-7-10-du-lundi-11-mars-2024-5907921 ).  Outre la voie de la baisse des dépenses, la voie de la hausse des impôts est mise en avant par A. Minc. J. Attali préfère les réformes structurelles, et aimerait qu’elles soient plus présentes dans le débat politique. J’ajoute un scénario de risque, peu probable aujourd’hui, celui de la crise financière où les marchés financiers refuseraient de continuer à financer notre déficit/dette, et exigeraient un changement radical de politique. Examinons ces 4 voies pour escalader la montagne de la dette.

Nb : Dans un article précédent de Broviews où je décrivais plus précisément dettes et déficits publics, je préférais l’analogie de la dette au gouffre, au lieu de la montagne. 😊

La voie de la baisse des dépenses

Avec 30 Mrds d’objectif de réduction des dépenses en 2 ans, le déficit public diminuerait de moins de 10%. C’est donc un programme d’austérité douce, qui passe pourtant difficilement dans l’opinion publique en ce moment. B Le Maire veut tenir les engagements de la France en termes de réduction du déficit public et de tendance sur la dette. Il cherche à rassurer les partenaires européens et les marchés financiers. Toutefois, si l’Etat peut piloter ses dépenses, en fonction des contraintes politiques, il n’a pas la main sur le coût de sa dette, qui dépend des marchés financiers.

Le coût de la dette française a augmenté fortement avec la hausse des taux d’intérêt européens. La charge de la dette est estimée à 55Mrds cette année par l’Agence France Trésor (contre 20 Mrds en 2021 au plus bas des taux). Cependant, le spread OAT vs Bund (10 ans français contre 10 ans allemand) reste à 45pb (points de base), soit autour de sa moyenne des dernières années. Ce qui signifie qu’il n’y a pas de tension particulière sur le financement de la dette française aujourd’hui.

Bref, l’objectif du gouvernement est de maintenir le statu quo, de poursuivre la politique de l’offre et l’amélioration du marché du travail. C’est le principal avantage de cette voie de la baisse des dépenses.

Son inconvénient : elle peut être remise en cause par une croissance économique plus faible que prévue, ou par des revendications catégorielles, fréquentes avant les échéances électorales, qui impliqueraient davantage de dépenses.

Probabilité : élevée, 60% 70%

La voie de la hausse des impôts

En accompagnement de cette première voie, Alain Minc propose une forte hausse des impôts : hausse de la TVA, impôt injuste mais simple à augmenter, ce qui rapporterait beaucoup à l’Etat, c’est la dose principale. Il suggère que, comme l’infirmière qui pince l’une des fesses, une petite hausse des impôts sur les hauts revenus/patrimoines fasse passer la forte dose d’impôts inégalitaires sur l’autre fesse.

Cette idée va à l’encontre de la politique actuelle qui dit « pas de hausse des impôts déjà à leur plus hauts historiques et les plus élevés du monde ». Minc veut que l’Etat retrouve des marges de manœuvre, notamment pour financer la transition énergétique et dynamiser la Recherche & Développement et l’éducation. Selon lui, la seule baisse des dépenses déjà annoncée ne suffira pas.

Pourquoi ne pas équilibrer la hausse des impôts sur la consommation et impôts sur les revenus et le patrimoine des plus riches ? Parce que les riches peuvent partir …

Une variante de gauche de cette voie hausse des impôts mettra donc plus l’accent sur l’imposition du capital, avec les risques que cela comporte.

Avantage de cette voie : redonner des marges de manœuvre à l’Etat

Inconvénients : risque de fuite des capitaux et de « révolte » de la partie de l’opinion publique qui estime déjà payer trop d’impôts. Sur le plan économique, n’oublions pas l’adage « trop d’impôt tue l’impôt », loi des rendements décroissants en termes plus scientifiques.

Probabilité : faible, 20%, après des élections

La voie des réformes structurelles

J. Attali prône des réformes structurelles et institutionnelles qui visent à rendre l’Etat plus efficace. Il cite dans cette interview 2 exemples en comparant la France et l’Allemagne : d’une part, il y a 3 échelons administratifs outre Rhin contre 6 chez nous. D’autre part, avec le même effort financier (en % du PIB) dans les deux pays pour l’éducation nationale, un professeur allemand est payé deux fois plus que son confrère français.

Cela fait longtemps que cet économiste met en avant ce thème : la commission pour la libération de la croissance française présidée par Attali, nommée en 2007, qui a publié un rapport en octobre 2010, mettait en avant « un mode d’emploi pour des réformes urgentes et fondatrices ». Le Président Macron a d’ailleurs participé à cette commission en tant que rapporteur adjoint. La liste des recommandations est facile à trouver sur internet, elle reste largement d’actualité.

Ce thème des réformes structurelles est très populaire chez les économistes, mais extrêmement difficile à mettre en place concrètement. On voit bien les difficultés de la réforme des retraites : la première réforme Macron, qui était un vrai changement structurel n’a pas abouti, officiellement à cause de la pandémie Covid. La réforme qui est passée en 2022, avec tous les compromis et malgré un cout politique important, demeure de mon point de vue une « réformette ».

La montée des populismes (notamment du RN) partis politiques attachés à l’Etat, mais opposés aux réformes, complique encore la donne.

Les avantages des réformes structurelles sont considérables sur le papier : une meilleure efficacité de l’Etat aurait de nombreux effets positifs sur la croissance économique, sur les services publics, , sur le coût de la dette…et  sur l’opinion publique.

L’inconvénient principal est l’immense difficulté, à ce jour, de sa mise en œuvre. La réforme la plus importante serait que les Français arrêtent de considérer que tous les problèmes doivent être résolus par une intervention de l’Etat, et donc des dépenses supplémentaires non financées.

Probabilité : très faible, 10%, mais cette voie ne peut se mettre en place qu’après un débat de société et où les hommes politiques doivent jouer un rôle moteur.

La voie de la crise financière

Aujourd’hui, une telle éventualité est très improbable. Les marchés financiers permettent à la France de se financer à hauteur de 300Mrds par an, c’est à dire 150 Mrds de déficit courant plus 150 Mrds pour renouveler les dettes. La confiance est là.

Mais, soit à cause d’une récession globale qui détériorerait la situation conjoncturelle du pays, soit à l’arrivée d’un gouvernement populiste qui mettrait en place une politique économique « nouvelle », il existe une possibilité que les marchés se ferment.

Après quelques mois, les caisses de l’Etat seraient vides : plus d’argent pour payer retraites, fonctionnaires, fournisseurs, intérêts ou pour renouveler les tombées de la dette. Comme toujours dans ces cas, le FMI (Fonds Monétaire International) peut proposer des capitaux pour aider un pays, c’est sa fonction. Mais il ne le fait qu’en échange d’adaptations politiques et structurelles, pour que le pays en question soit capable un jour, de rembourser sa dette.

Dans les derniers cas de crise de dette souveraine en Europe en 2012-13, le FMI a collaboré avec l’Union Européenne pour aider la Grèce, le Portugal, l’Ireland, et dans une moindre mesure l’Italie et l’Espagne.

Les crises souveraines conduisent à imposer des mesures très dures pour redresser les finances publiques : fortes baisses des dépenses de l’Etat, de toutes les dépenses et donc y compris les prestations sociales, hausses importantes des impôts voire prélèvements autoritaires sur l’épargne au-delà d’un certain montant, réformes de structures imposées. Les trois voies mentionnées précédemment sont appliquées avec rudesse et simultanément.

Le pays confronté à une crise souveraine entre alors en récession douloureuse ; puis en sort, après une période d’ajustement plus ou moins longue, renforcé et plus compétitif. Le coût social est élevé.

Conclusions opérationnelles

Les deux premières voies n’ont pas d’impact en termes de gestion de l’épargne, il faut juste se préparer à payer plus d’impôts à terme dans la voie 2.

La voie des réformes structurelles aurait un impact positif sur les actifs financiers français, sur l’Europe probablement. Mais, comme sa probabilité est très faible à court terme, et que l’impact se ferait sentir sur le long terme, cette voie n’a pas d’implications opérationnelles.

Le risque de crise financière -encore une fois, risque faible aujourd’hui- implique une diversification géographique de ses investissements. Pour limiter l’impact très négatif, il faudra avoir des actifs en dollar ou en franc suisse, car il est évident qu’un problème français aurait des implications graves sur l’euro.

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