La faillite de FTX est une nouvelle épreuve pour les crypto-monnaies (les cryptos).
1)C’est une faillite très classique dans son déroulé et ses origines : une crise de solvabilité couplée à une crise de liquidité montre l’étendue des manquements en termes de gouvernance au sein de cette plateforme de trading de cryptos.
2) Mais FTX ne change pas un point fondamental : ceux qui ont une opinion positive sur les cryptos continuent de prédire un avenir glorieux en mettant en avant une technologie nouvelle et un désir de liberté/ libertarien (se passer de tout intervenant). Mais, les pessimistes (dont je suis) mettent en avant l’absence totale de contrôle réel et de confiance dans cette industrie. Une monnaie ne vaut quelque chose que par la confiance mise dans les institutions et l’économie qui la sous-tendent. Dans le cas des cryptos, par définition, il n’y a pas d’institutions de référence, et donc elles n’ont aucune valeur, selon ce point de vue. La faillite de FTX donne des arguments aux pessimistes, et n’empêche pas les autres de continuer d’espérer.
3)Il faut maintenant surveiller la contagion au reste de l’industrie. Gardons en tête que la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008 a pris du temps, quelques semaines, avant d’avoir un impact global à cause du risque de contrepartie.
FTX était une plateforme d’échange électronique de crypto-monnaies basée aux Bahamas (récoltant l’argent de clients qui voulaient juste échanger sur ce marché), liée à une société sœur Alameta Research, hedge fund qui prenait des positions directionnelles et risquées. Le groupe FTX avait quelques 300 filiales, sans que l’on sache très bien à quoi servait chaque filiale. La valorisation la plus élevée de ce groupe a été de $40 Mrds à l’automne 2021, passant à $32 Mrds en début 2022, pour finalement faire faillite le 11 novembre 2022.
L’origine des problèmes de FTX est la forte baisse des prix des cryptos depuis un an ; la capitalisation totale des crypto-monnaies est passée d’un pic de $2905 Mrds en novembre 2021 à $834Mrds en novembre 2022, soit une baisse de 71% selon le site Investing .com qui fait ses calculs sur plus de 9000 cryptos existantes. Les deux principales étant le Bitcoin et Ethereum.
Capitalisation des crypto-monnaies
Une faillite de FTX finalement très classique
La crise de solvabilité du groupe FTX vient de cette baisse de prix, ce « bear market » important sur les cryptos ; une grosse part des actifs de FTX était constitué de « tokens », de « coins », notamment celui qu’elle émettait, à savoir le FTT dont le prix maximal a été $25. Le 8 novembre 2022, FTX a stoppé les échanges sur son token FTT lorsque celui-ci cotait $22, laissant croire que sa baisse de valeur était inférieure à celle du marché, ce qui était une illusion complète. En 2 jours, le FTT est passé à $2, perdant 90% de sa valeur. Le déclencheur de cette hémorragie a été l’échec de négociations le 8 novembre entre FTX et un rival, Binance , qui s’était proposé pour la racheter.
Une crise de liquidité s’est couplée à la crise de solvabilité : les clients ont tous cherché en même temps à retirer leur argent, ce fut un « bank run » classique, asséchant complétement la liquidité sur un marché étroit.
Enfin, les problèmes de gouvernance du groupe FTX sont devenus publics. C’est l’axe majeur de la communication du nouveau CEO de FTX après la faillite, John Ray III, homme d’expérience qui a déjà géré la faillite de Enron et qui a représenté les plaignants dans le cas Madoff. Les problèmes de gouvernance chez FTX concernent l’absence de contrôle interne des risques, le fait qu’un tout petit nombre de cadres contrôlait l’accès aux systèmes de trading/d’exploitation, sans process de contrôle et d’équilibre. Il n’y avait pas de « chinese wall », séparation entre la plateforme de trading et le fonds preneur de risques. Certaines dépenses personnelles des dirigeants étaient payées par le groupe…Les articles quotidiens du Financial Times sur ces manquements sont édifiants. Un point central est que FTX est enregistré aux Bahamas, pas aux Etats Unis où la règlementation aurait obligé FTX et ses dirigeants à des comportements différents.
Au total donc, entre la crise de solvabilité et de liquidité et les problèmes de gouvernance, la faillite de FTX est somme toute très classique.
Le problème global des crypto-monnaies : innovation majeure ou rêve illusoire ?
Depuis que les cryptos existent, le débat fait rage entre les pro et contre. Et cette faillite de FTX ne change pas les points de vue, toujours plus radicaux !
Les pro cryptos-devises mettent en avant une nouvelle technologie, la BlokChain, qui révolutionnera beaucoup d’industries, dont la finance, selon eux. Elle permettrait au marché des cryptos de s’affranchir de tout intermédiaire classique. Le rêve des cryptos est un désir absolu de liberté, notamment vis-à-vis des institutions financières et des banques centrales en particulier. Chacun dans son garage peut créer sa propre devise/monnaie, à condition d’avoir du matériel informatique adéquate, le savoir-faire, et une grosse consommation d’énergie ! A la suite de FTX, cette école reconnait que l’industrie des cryptos est jeune, qu’elle commet des erreurs et qu’elle devra accepter une régulation plus rigoureuse.
Les pessimistes (dont je suis) mettent en avant l’histoire économique : une devise, quelle qu’elle soit, n’a de valeur qu’à cause des institutions (et de l’économie) qui la sous-tendent. Devise forte = institutions fortes, et l’inverse est vrai, devises faibles car institutions faibles. Dans le cas des cryptos monnaies, par définition, il n’y a pas d’institutions de référence. Donc, selon les pessimistes, elles n’ont aucune valeur. On ne sait pas comment valoriser une crypto. Les pessimistes disent donc que les crypto-monnaies n’ont pas d’avenir sauf changer de nature et à être complètement régulées par les banques centrales. FTX donne du grain à moudre à cette école.
Surveiller maintenant la contagion !
Je parle maintenant du risque de contrepartie. Gardons en tête que la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008 a pris plusieurs semaines avant d’avoir un impact global. FTX ne sera pas aussi important que Lehman, soyons clair ! Pour l’instant la capitalisation des crypto-monnaie n’a baissé que de 16% dans le mois qui a suivi la faillite de FTX.
Mais les répercussions pourraient à terme être importantes dans l’industrie. FTX avait 1 million de clients qui, en l’état actuel des choses ont perdu 100% de leur mise. Certains gros investisseurs dans la société ont perdu des montants importants. Par exemple, Temasek, fonds souverain de Singapour très actif dans le secteur de la technologie, a provisionné $250 millions. Plusieurs hedge funds qui avaient des positions avec Alameda ont perdu leur contrepartie. Moulte investisseurs particuliers sont dans des positions identiques s’ils avaient mis de l’argent sur les crypto-monnaies comme FTT bien sûr, mais aussi Solana ou Serun, (tokens dépendant de FTX dont je n’avais jamais entendu parler avant la faillite).
Kraken, une des plus grosses bourses américaines de cryptos, licencie le 1er décembre 30% de ses effectifs. BlockFi se déclare en faillite le 28 novembre (100 000 créditeurs, passif estimé à $10Mrds) et intente un procès à FTX à propos de titres Robinhood qui avaient été mis en collatéral sur un échange ; il semblerait que FTX ait utilisé plusieurs fois ces titres en collatéral, ce qui est tout même très étonnant.…
Ce ne sont que quelques exemples des conséquences de la faillite de FTX sur l’industrie. Il est aujourd’hui impossible de savoir où cela s’arrêtera. Personnellement, je crois que les crypto-monnaies auront beaucoup de mal à se remettre du « bear market » actuel, d’autant que les autorités de régulation vont probablement réagir dans les prochains mois et que cela risque de dissoudre cette industrie dans un ensemble plus vaste.
Mais je dois reconnaitre que l’on a déjà été surpris deux fois par ces cryptos : si l’on prend le Bitcoin comme référence, la plus ancienne et la plus grosse crypto-monnaie, il a déjà connu deux autres marchés baissiers ces 10 dernières années ( -63% entre novembre 2013 et avril 2014, -75% entre décembre 17 et janvier 2019). Et le Bitcoin a rebondi deux fois en moins de 10 ans. Peut on exclure une autre surprise après la baisse récente de 71% entre octobre 2021 et novembre 2022 ? Pas sûr, mais tout de même très peu probable.
NB : C’est le seul exemple que je connaisse de prix d’un actif qui explose en vol, et qui rebondisse dans la décennie qui suit. Et cela s’est produit deux fois ! Peut être le sujet pour un prochain article historique.
Conclusions opérationnelles
Je ne peux pas considérer les cryptos comme un actif investissable. C’est du jeu, de la loterie, du rêve. Donc, si quelqu’un veut s’amuser, qu’il en parle avec les 90/95% (je n’ai aucune idée du chiffre exact) de personnes qui perdent de l’argent aujourd’hui sur les cryptos, et qu’il ne se plaigne pas après. Si jamais, le marché des crytos venait à rebondir, je dirai « bien joué, 100% des gagnants au loto ont joué ». Je ne crois pas qu’il faille être « contrarian » sur ce sujet : l’ambiance générale est négative sur ce sujet, à juste titre selon moi.