Pour les pessimistes, le rebond boursier des dernières semaines n’est qu’un « bear market rally » ; le génie « Inflation » est sorti de sa bouteille, il sera long et douloureux de le remettre dedans. Pour les optimistes, l’inflation a fait son pic, même si les banques centrales vont continuer à resserrer. On peut commencer à anticiper le prochain cycle. Comment choisir son camp ? Je suis dans les optimistes à long terme, voici pourquoi.
Durant le premier semestre 2022, les marchés financiers ont connu un « bear market » sur les bourses, couplé à une forte hausse des taux d’intérêt, partout et sur toutes les sortes d’obligations (courtes ou longues, gouvernementales ou d’entreprises). Depuis leurs points bas de mi-juin à début juillet selon les cas, les bourses ont beaucoup remonté : je ne prends que l’exemple du S&P 500, indice américain de référence. Depuis son record historique du 26 décembre 2021, il a baissé jusqu’au plus bas du 16 juin 2022, soit une baisse de 24% environ. Puis, il a regagné 50% de cette baisse jusqu’au 16 aout, les boursiers techniciens parlent d’un retracement de 50% (soit +17% sur son point bas). Depuis quelques jours de nouveau les bourses hésitent. Durant le rebond des bourses, le calme est revenu sur les taux obligataires, en baisse mais surtout avec moins de volatilité de durant le premier semestre.
Comme souvent, deux camps émergent : certains disent que ce rebond boursier n’est qu’un « bear market rally », c’est-à-dire que la tendance de fond demeure baissière sur les bourses, les problèmes ne sont pas réglés ; c’est le camp des pessimistes/Bears. Les autres disent que ce rebond marque le début d’un nouveau cycle, que les problèmes du premier semestre sont bien pris en compte aujourd’hui et que l’on peut anticiper la prochaine phase ; c’est le camp des optimistes/Bull. Quels sont les arguments des deux camps ? Et comment choisir le sien ?
Le camp des pessimistes : inflation, hausse des taux, récession et tensions géopolitiques
Pour les pessimistes, l’inflation est le problème central : le génie dénommé « inflation » est sorti de sa bouteille, et il sera long et douloureux de le faire revenir dedans. Les hausses des prix se généralisent et dépassent les attentes, plusieurs ingrédients se combinent pour entrainer une spirale prix-salaires-prix qui va bien au-delà de la seule hausse des prix de l’énergie et de l’alimentaire. Dès lors, les banques centrales sont contraintes à resserrer fortement et durablement leurs politiques monétaires quitte à créer la prochaine récession. Les profits des entreprises devraient baisser. Dans un contexte de hausse des taux, les prix des actifs risqués seraient trop élevés.
Quelques problèmes périphériques amplifient les conséquences néfastes de l’inflation : la guerre en Ukraine entraine une hausse des couts de l’énergie, ponctionnera les pays importateurs de pétrole et de gaz (donc Europe, Chine et Japon pour les économies industrialisées). La Chine connait un fort ralentissement à cause de sa politique 0 Covid et des problèmes structurels de son secteur immobilier. Les tensions géopolitiques (Guerre en Ukraine, conflit larvé USA Chine, instabilité dans nombre de pays émergents…) ont rarement été aussi fortes ces dernières décennies.
La thèse « bear » est plus facile à argumenter que la « bull » ; l’opinion générale, et le positionnement des investisseurs est assez largement pessimiste, même si ce pessimisme n’est pas extrême aujourd’hui.
Le camp des optimistes : le pic d’inflation est derrière nous
Selon les optimistes les Bears expliqueraient ce qui s’est passé, pas ce qui se passera ; le pic d’inflation est derrière nous. Grâce d’une part à la récente baisse des prix des matières premières (pétrole passé de 120$ le baril à moins de 100$ aujourd’hui) et d’autre part à des ajustements importants sur l’offre de certains produits et services qui posaient problème (exemple le transport maritime revenu presque à une situation « normale », comme le montre l’indice Baltic Dry Index, en baisse de 75% sur un an), le resserrement actuel des politiques monétaires suffira à casser la spirale d’inflation, sans récession dure, peut être avec un simple atterrissage en douceur de l’économie américaine/ mondiale dans un scénario très optimiste. Cela ne signifie pas que les hausses de taux courts sont terminées, mais qu’elles sont bien anticipées aujourd’hui par les marchés et que nous n’aurons plus de nouvelles mauvaises surprises sur ce front des prix et des taux courts.
On a eu jusqu’à maintenant un seul mois d’amélioration de l’inflation sur les données de juillet aux Etats Unis. Si ce point central est validé durant les prochains mois, si l’inflation diminuait significativement sur la partie « core », c’est-à-dire hors énergie et alimentaire, alors les marchés commenceraient à anticiper la fin du resserrement monétaire.
Cette amélioration permettrait de digérer les autres questions mises en avant par les pessimistes. Il n’est pas exclu d’ailleurs -on peut rêver n’est-ce pas- qu’une bonne surprise géopolitique se produise ; arrêt du conflit/cessez-le-feu en Ukraine, plan de relance de taille importante en Chine, détente sino-américaine.
Quel camp choisir ?
Dans son discours à Jackson Hole, M. Powell, président de la Fed, s’est bien gardé de dire quand cette amélioration de l’inflation au cœur de l’argumentaire optimiste pourrait arriver ; au contraire, il a terminé sur la nécessité de garder des taux élevés durant une certaine période, « jusqu’à ce que le travail soit fait », jusqu’à ce que l’inflation revienne vers l’objectif de la Fed de 2%. Ce discours a inquiété les bourses, forte baisse des indices américains le vendredi 26 aout, mais les marchés obligataires sont restés calmes, le taux à 10 ans est stable un peu au-dessus de 3%. Même la partie courte de la courbe n’a pratiquement pas bougé. Les obligataires n’ont pas été surpris, voire ont été rassuré par la détermination de M. Powell.
Car il ne fait aucun doute que la Fed arrivera à ses fins, rappelons-nous le proverbe « don’t fight the Fed » ; le resserrement monétaire est couplé au « quantitative tightening » c’est à dire à la diminution du bilan de la Fed (moins de liquidités dans l’économie) et à la forte hausse du dollar, l’inflation reviendra bien vers l’objectif de la Fed.
Mais deux incertitudes demeurent, et c’est pour cela que choisir son camp entre bull et bear est difficile ; d’une part on ne sait pas combien de temps sera nécessaire à une diminution notable de l’inflation permettant aux banques centrales d’arrêter de resserrer (ce qui est valable pour la Fed l’est également pour les autres banques centrales confrontées au même problème, BCE, BOE…). Le discours de Jackson Hole a déçu sur ce point, certains investisseurs espéraient manifestement que Powell donne un signal dès maintenant.
D’autre part, une récession de l’économie mondiale sera-t-elle nécessaire ? Powell parle d’une croissance économique inférieure au potentiel pendant une certaine période. Pas très précis, n’est-ce pas ! Un scénario très optimiste serait un atterrissage en douceur, possible aux Etats Unis, plus difficile en Europe compte tenu de la hausse des couts de l’énergie.
Personnellement, je regarde depuis deux décennies un modèle de la Fed de New York basé sur la courbe des taux américaine, écart entre le taux à 3mois et le taux à 10 ans. Aujourd’hui, cet écart est à 0.24%, ce qui donne une probabilité de 25% d’une récession durant les 12 prochains mois aux Etats Unis. J’ai calculé ce 25% de probabilité, la Fed de NY publie l’actualisation en début de mois. https://www.newyorkfed.org/medialibrary/media/research/capital_markets/Prob_Rec.pdf
Lorsque l’on lit la presse financière, on voit que les trois quarts des prévisionnistes anticipent une récession, soit une proportion beaucoup plus forte que la probabilité de récession. Je n’ai jamais vu une récession prévue avec une telle unanimité ! Donc a mon avis, si elle se produit, elle est déjà largement anticipée par les marchés, personne ne sera surpris.
Conclusions opérationnelles
Je choisis le camp des optimistes car je n’ai pas de contrainte temporelle, mes investissements risqués sont pour le long terme. J’ai souvent dans le passé investi, ou désinvesti, trop tôt, mais je peux me le permettre car je ne suis pas un gérant jugé face à la concurrence tous les jours, je n’ai pas besoin de mon argent maintenant, je ne suis pas trader avec effet de levier…
Les remontées de taux d’intérêt devraient se poursuivre des deux côtés de l’atlantique, je suis toujours réservé sur les obligations. La hausse du dollar devrait se terminer quand les incertitudes sur la durée de l’inflation et l’ampleur du ralentissement économique seront derrière nous ; bref, on a encore le temps, je reste positif sur le billet vert, ou plutôt inquiet sur l’euro. Mais cette position est très consensuelle aujourd’hui, l’essentiel de la hausse du dollar est derrière nous.
J’ai déjà réinvesti en actions en partie en juin et je « referais une couche » si les bourses venaient à baisser encore sur les niveaux actuels. Je reste sur les mêmes idées : valeurs de qualité pouvant répercuter les hausses de couts, secteurs de la santé, thème transversale de la transition énergétique et valeurs financières car la hausse des taux n’est probablement pas finie.