Bilan du difficile 1er semestre 2022 : bear market, hausse des taux et dégonflement des segments les plus surchauffes des marches financiers

12 juillet 2022

Le bilan du premier semestre 2022 sur les marchés financiers est calamiteux : pour la première fois depuis 1970, une baisse des marchés actions de plus de 20% (définition communément admise d’un « equity bear market ») et une forte hausse des taux longs, c’est-à-dire une perte de valeur des obligations existantes, se sont déroulées en même temps. Excepté dans les commodities, (les matières premières), il n’y a pas eu moyen d’échapper à la baisse du prix des actifs financiers : no place to hide.

Quelques chiffres américains pour étayer ce point général. L’indice du marché actions S&P500 a baissé de 20%, dividendes inclus, au premier semestre 2022. Dans le même temps, l’indice Bloomberg des obligations américaines a perdu 10.4%. Le portefeuille classique censé protéger l’épargnant avec 60% d’actions et 40% d’obligations a baissé de 16.1% : ce 60/40 a très bien performé ces dernières décennies car quand les actions baissaient, les obligations montaient, et vis versa. Pas cette fois ! En Europe, les marchés ont été également très difficiles, dans des proportions identiques si l’on raisonne en devise unique. Car l’euro a baissé de 10% face au dollar, un tel mouvement est rare en aussi peu de temps. Le dollar a joué un rôle de valeur refuge.

Cet environnement est bien sûr dû à l’accélération de l’inflation bien au-delà des attentes obligeant toutes les banques centrales à un resserrement général des politiques monétaires (sauf la Banque du Japon, d’où une forte baisse du Yen). Non seulement les banques centrales ont commencé à monter leurs taux, mais en plus, elles arrêtent leur programme d’achats d’obligations sur les marchés. On passe d’une période de « Quantitative Easing », injections massives de liquidités liées au Covid19 au « Quantitative Tightening », les banques centrales retirent progressivement ces liquidités exceptionnelles.  Cela pourrait mener soit à une récession générale dure et courte, soit à une période plus longue de stagflation, peu de croissance mais une inflation significative. Donc, le consensus aujourd’hui est que l’avenir est plutôt sombre d’un point de vue global, d’autant que l’environnement géopolitique ne s’améliore pas (guerre en Ukraine) et que la question climatique demeure intacte.

Je voudrais mettre en avant dans ce papier que certes cet environnement est très dur, mais le dégonflement des excès du « bull market » précédent explique une part non négligeable de ces baisses de prix d’actifs ; on corrige les excès passés, et je crois que l’on prépare les conditions du futur rebond.

Premier excès, et de loin le plus important du côté des marchés obligataires

On a corrigé l’anormal, c’est à dire des taux négatifs ! Durant toute ma carrière, je n’avais connu qu’un seul exemple de taux négatif lorsque les autorités suisses avaient mis un taux négatif pour enrayer (plus précisément pour essayer d’enrayer) la hausse du Franc Suisse. C’était exceptionnel, cela concernait un petit segment des marchés sur une période courte. Durant ces dernières années, amplifié par la crise Covid, les taux négatifs sont devenus communs et massifs : on a connu 18 400 mds $ d’obligations à taux négatifs dans le monde (sovereign + corporate) au top en décembre 2020. C’est tout simplement invraisemblable ! Que des états et des entreprises puissent se financer à taux négatif et pour des montants aussi élevés est tout simplement invraisemblable.

Aujourd’hui, il ne reste que 1 800bn $ d’obligations japonaises, seule banque centrale qui n’a pas terminé son Quantitative Easing et n’a pas monté les taux. La devise enfonce des plus bas historiques (136 yens par dollar, au plus bas depuis les années 70)

Sous cet aspect, la hausse actuelle des taux referme une parenthèse très anormale des marchés obligataires. Et je suis sûr que les historiens regarderont cet épisode avec beaucoup d’attention.

Les taux nominaux sont redevenus positifs mais ils restent négatifs en termes réels : inflation à 8% aux Etats Unis, le taux 10 ans est à 3%. Idem en France, inflation à 6.5% et taux français à 10ans proche de 2%.

En d’autres termes, les marchés anticipent que l’inflation est probablement à son pic, et qu’elle baissera bientôt. Mais ce n’est pas sûr du tout.

La baisse des marchés actions n’a rien d’exceptionnel.

L’histoire boursière fournit des tas d’exemples de « bear markets » de cette amplitude. Cette baisse s’explique par la peur de hausse des taux puis peur de la récession mondiale amplifiées par contexte géopolitique, puis anticipation de contraction des profits des entreprises.

La baisse du Nasdaq ( -33%) a été plus importante que celle du S&P500 notamment dans le segment « growth ». L’exemple de l’ETF « ARK » géré par la star Cathie Wood est significatif. Durant la phase haussière du marché, les paris concentrés de Mme Wood ont donné d’excellents résultats. A l’inverse, du pic de février 2020 au plus bas récent (mi-juin 2022), ARK a baissé de 75%.

Autre exemple dans le non coté, Klarna, société de Fintech suédoise, dans le concept du « buy now, pay later » très à la mode il y quelques trimestres. Cette société a levé du capital (800millions $) sur une valorisation de 6.7milliards$ en ce moment. Il y a un an, elle avait fait la même opération sur une valorisation de 46 milliards$. Dégonflement de 85%. Voir un article du Financial Times du 11 juillet.

Dernier exemple des excès passés, les cryptomonnaies

On a assisté à un effondrement spectaculaire des cours des cryptomonnaies et à nombre de faillites d’acteurs dans ce domaine. La plus connue des cryptomonnaies, le Bitcoin, a baissé de 72% entre son point haut de novembre 2021 et son point bas de juin 2022. Des estimations de 2trillions de USD de pertes de la valeur totale de ces cryptomonnaies circulent !

Ce n’est pas la première fois que le Bitcoin baisse de plus de 60% : il avait déjà connu un premier bear market entre novembre 2013 et avril 2014, puis un deuxième entre décembre 2017 et janvier 2019, avec une baisse de 75%. Ce qui est unique est la capacité passée de cette pseudo devise de rebondir. Dans l’histoire des marchés financiers, un actif qui baisse autant ne remonte pas durant des décennies. C’est manifestement différent avec le rêve que représentent des cryptomonnaies. Mais je crois que cela reste un rêve très dangereux !

Conclusions opérationnelles

  1. Rien ne dit que ces baisses de prix d’actifs financiers soient terminées, même si j’ai plutôt une vision optimiste de l’avenir. On peut seulement faire des scénarios sur la probabilité de récession. Donc, attention, on peut encore se faire très mal. Rappel de l’arithmétique ! de 100 à 30, c’est une baisse de 70%. Il existe des baisses historiques de 80%, donc à 20. Mais passer de 30 à 20, cela signifie une baisse de 33% sur le niveau actuel.
  2. Impact de la hausse des taux sur les finances publiques : la France a 2900bn€ de dette publique avec une duration de 7.5ans environ. Le cout de la dette est passé de 0 à près de 2% à ce jour. En année pleine, cela va donc couter à l’Etat environ 50milliards €. A titre de comparaison, le déficit total de l’état français en 2021 est de 160,9 milliards. Toutes choses égales par ailleurs, le déficit augmenterait de 30% environ. Autre élément d’appréciation : le budget total de l’éducation nationale en 2021 était de 53.6 milliards €. Je crois qu’il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt : nous paierons plus d’impôts, tôt ou tard, même si nos hommes politiques aujourd’hui n’en parlent pas.
  3. Une constante historique : les secteurs leaders dans le prochain « bull market » ne seront pas les anciens leaders. La baisse des cours dans les segments « growth », la technologie, les cryptomonnaies, ne créent pas forcément une opportunité. Comme prochains leaders, je parierais plutôt sur la « value », les financières (la matière première des financières= taux d’intérêt), la pharmacie/la santé (vieillissement de la population et innovations), les marques fortes (pricing power, les entreprises qui ont la capacité de répercuter les hausses de couts, en faisant attention aux valorisations !). Mais nous aurons d’autres occasions d’évoquer ces sujets.
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