L’économie mondiale et les marchés financiers sont confrontés à de nombreuses et graves questions
- Les problèmes cycliques de l’économie mondiale (grave récession Covid 19 puis énorme stimulus fiscal et monétaire amenant aujourd’hui surchauffe et inflation)
- La montée des nationalismes
- Le réchauffement climatique
Ces points ne sont pas nouveaux, ils ont été négligés pendant toute la phase haussière des bourses, mais maintenant, ils dominent tous les raisonnements. A cause d’eux, j’ai vendu des actions en octobre/novembre 2021. Ces derniers jours, j’ai racheté une partie de ces positions profitant de l’ambiance boursière exécrable
Ces graves questions ne sont pas résolues, loin de là ; mais elles sont maintenant mieux prises en compte par les marchés, et par les politiques économiques.
En termes plus professionnels, on dirait que à l’automne, j’étais sous pondéré actions, je viens de me remettre à neutre, pas encore à surpondérer les actions, pas encore optimiste sur les bourses, mais moins inquiet.
Trois conclusions opérationnelles sont présentées en fin d’article sur le risque, le dollar et les choix de secteurs.
De graves questions fondamentales
Les problèmes cycliques de l’économie mondiale arrivent après une année 2020 d’arrêt complet de segments entiers des économies matures pour cause de la pandémie Covid 19. En conséquence, les autorités ont mené des politiques de soutien extrêmement agressives en 2020 et 2021 : le « quoi qu’il en coute » monétaire et fiscal américain et européen (y compris Royaume Uni) a été massif, et financé par la dette. Les problèmes de surchauffe d’aujourd’hui sont les conséquences de ce policy mix inédit : l’inflation vient de la conjugaison de plusieurs facteurs et sera probablement durable.
La Chine n’est pas synchrone dans ce cycle économique : la pandémie continue de peser. L’arrêt des confinements aidera la croissance mondiale probablement dans la seconde partie de 2022.
Face à une telle inflation (+5.2% pour la France, +8.1% pour l’Eurozone, +8.3% aux Etats Unis en avril sur 12 mois, les premières données pour mai ne sont pas bonnes), les hausses de salaires sont inéluctables : dans des marchés du travail tendus, c’est-à-dire avec le plein emploi actuel, les positions de négociations ont évolué -à juste titre- en faveur des salariés.
Le resserrement global des politiques monétaires qui a commencé cette année vise à sortir de cet épisode postérieur à la pandémie. On assiste bien à un resserrement généralisé des conditions financières lié à la hausse des taux longs. Mais tous les taux d’intérêt étaient anormalement bas !
Aujourd’hui, on ne peut que faire des scénarios, personne ne sait si l’on aura un atterrissage en douceur ou si une récession se profile à l’horizon. Chacun donne ses propres probabilités à ces deux possibilités. Les marchés financiers se sont adaptés : la hausse des taux obligataires a déjà été massive et les anticipations de poursuite des hausses des taux courts sont générales.
La montée des nationalismes est un thème structurel dont on parlera encore durant les prochaines années. Ce phénomène interfère avec le cycle conjoncturel à cause de la guerre en Ukraine et de la hausse des prix des matières premières qu’elle génère. Les prix du Brent sont passés d’un point bas de 23$ en mars 2020 à 120$ au moment de l’écriture de ce papier. Le prix du gaz a davantage monté, multiplié par 5 sur les plus bas. Les prix des matières agricoles ont également doublé, en moyenne.
Conséquence immédiate : l’inflation a dépassé toutes les attentes en niveau et en durée. Deux questions essentielles, sans réponse évidente, se posent : quand cette guerre va-t-elle s’arrêter ? Quand les prix des matières premières vont il faire leur pic puis se retourner ?
Certains diront que cette hausse des prix des matières premières est également liée au réchauffement climatique. La crise climatique est sans doute une toile de fond générale, mais je ne suis pas sûr du tout que l’on puisse la lier à ces facteurs conjoncturels.
Les marchés financiers ont intégré ces questions graves
On voit bien à travers ce bref résumé que les problèmes de l’économie mondiale ne sont pas réglés, loin de là. Mais mon point est le suivant : ils sont mieux pris en compte par les marchés financiers, voire complètement intégrés dans un schéma optimiste.
Comme je l’ai déjà mentionné, la hausse des taux longs a été importante, le taux à 10 ans américain est passé d’un point bas de 0.55% en juillet 2020 à 3.25% il y a quelques semaines ; c’est une tension majeure sur les marchés obligataires à un moment où la Fed commence la diminution de la taille de son bilan. D’autres banques centrales vont faire de même, la BCE dès l’été. Pour que ces « Quantitative Tightening » se passent bien, il faut que des acheteurs nouveaux de papier obligataire prennent le relai des banques centrales. (Pour rappel, depuis début 2020, les banques centrales achètent l’essentiel des émissions des Trésors publiques pour financer les interventions des états face à la pandémie Covid19). Avec des taux obligataires plus rémunérateurs, il est très probable que des fonds de pension, des fonds souverains, des investisseurs institutionnels prennent ce relai. C’est une des questions majeures des prochaines semaines. Si tel est le cas, les taux longs américains vont continuer à se stabiliser dans un range 2.75 à 3.25%.
Sur les actions, en quelques mois, le retournement du consensus a été magistral. Fin 2021, l’optimisme dominait, rappelons-nous du TINA, (there is no alternative) et du FOMO (Fear of Missing Out). Aujourd’hui, après environ 20% de baisse du S&P500 et de 35% du Nasdaq, le pessimisme est dominant. On le voit par exemple dans les données de la AAII (American Association of Individual Investors) qui montrent des niveaux de pessimisme très élevés chez les investisseurs individuels américain comme à chaque point bas historique des bourses (c’est un indicateur contrariant, quand le pessimisme est très fort, il faut acheter, quand l’optimisme est élevé, il faut vendre).
Le déclencheur de mes achats en bourse est venu de deux grandes banques européennes dont les stratégistes sont structurellement optimistes sur les actifs risqués, ils ont un biais de positionnement. Or, leurs papiers du mois de mai sont ambigus : oui, il faut acheter pour le long terme, mais les marchés peuvent encore baisser ; oui les risques existent, mais le pic d’inflation n’est pas encore là même s’il se rapproche. Oui, les actions ont déjà bien baissé mais elles sont chères si les bénéfices baissent etc. Bref, ils ne savent plus quoi penser ! Les 7 semaines consécutives de baisse de la bourse américaine – 8 semaines de baisses sur les 9 dernières semaines- ont eu un impact psychologique significatif. Après la publication des chiffres d’inflation pour mai aux Etats Unis, la baisse des bourses et la hausse des taux a repris le dessus, l’ambiance générale s’est encore assombrie.
Deux arguments fondamentaux positifs à long terme
Enfin, j’ajoute deux arguments positifs fondamentaux qui viennent de mon expérience professionnelle, même si ces points ne sont pas toujours très populaires. Ces deux points ne donnent aucune indication de timing, ce sont des arguments très long terme !
- J’ai confiance dans les banques centrales ! Historiquement, les fameuses « erreurs de politiques monétaires » dont parlent les stratégistes baissiers sont très rares. Au contraire, les banques centrales des pays matures effectuent le travail nécessaire pour atteindre leurs objectifs de stabilité des prix (et de plein emploi pour la Fed). Dans ce cycle aussi, elles feront ce qu’il faut.
- J’ai constaté l’adaptabilité du système économique et la résilience des entreprises. Les problèmes sont sérieux, mais encore une fois, nous nous adapterons ! La souplesse du système pourrait être mise à rude épreuve si l’on connaissait une récession, mais à long terme, la reprise/la croissance reprendrait le dessus.
Conclusions opérationnelles :
- Acheter des actions aujourd’hui est un gros risque. N’oublions que l’argent mis en bourse n’est pas disponible, un scénario de risque est toujours envisageable et des pertes en capital sont possibles. Il faut pouvoir être patient, et donc ne pas avoir besoin de cet argent.
- J’ai acheté des actions américaines : c’est l’économie la moins touchée par la guerre en Ukraine, la plus diversifiée, le pays est un gros producteur de matières premières. Le dollar a monté à cause des incertitudes (et de la hausse des taux américain plus forte qu’ailleurs) ; si celles-ci diminuent, les actions américaines en profiteront, la baisse de la devise aident en général la bourse. Si elles perdurent, la force du dollar amortira le choc.
- J’ai choisi quelques secteurs : la pharmacie (pas sensible au cycle économique, vieillissement de la population, innovations), les « value » et surtout les bancaires qui bénéficient de la hausse des taux et qui ne sont pas chères en Europe, des valeurs de qualité avec de fortes marques (elles pourront plus probablement répercuter les hausses de coûts) et enfin la transition énergétique, inévitable selon moi, thème qui devrait attirer des capitaux.